En 2002, l’élection présidentielle marque un tournant dans l’histoire politique française : Jean-Marie Le Pen atteint le second tour face à Jacques Chirac. Ce résultat provoque un choc et une mobilisation massive contre l’extrême droite, notamment dans les rangs des jeunes, qui pour beaucoup participent aux manifestations et appellent à faire barrage, scandant le slogan « la jeunesse emmerde le Front National » . Si certains jeunes votent en faveur du FN par protestation ou rejet des partis traditionnels, le taux de soutien reste relativement faible par rapport aux autres tranches d'âge. D’après un sondage Ipsos-Sopra Stéria sorti quelques jours après les élections présidentielles de 2002, c’est par exemple 16% des 18 à 24 ans et 17% des 25 à 34 ans qui avaient voté pour Jean-Marie Le Pen à l’époque.

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Vingt ans plus tard, le même sondage Ipsos-Sopra Stéria indique que 25% des 18 à 24 ans et 24% des 25 à 34 ans ont voté pour Marine Le Pen au 1er tour. Elle arrive au 2e tour avec 21,9% des voix au niveau national en 2022. Un Le Pen se retrouve donc à nouveau au second tour, mais le contexte a changé. Marine Le Pen est parvenue à réunir autour de sa candidature une partie croissante de l’électorat jeune, avec un discours recentré, mettant en avant les thèmes de l’économie et de la souveraineté, en plus des questions identitaires. Elle connaît également un succès sur les réseaux sociaux, devenus essentiels dans les stratégies de communication des partis politiques. Comme l’observe la politologue Anne Muxel, « les jeunes ne se reconnaissent plus dans les partis traditionnels, et c’est dans cette remise en question de l’ordre établi que se trouve une part du succès du RN auprès d’eux ». Le vote pour le RN devient un choix d’expression face à des institutions qu’ils jugent parfois déconnectées de leurs réalités.

Le cas d’Aix-en-Provence, une ville jeune fracturée

Si la tendance au vote RN a augmenté chez les jeunes à l’échelle nationale, qu’en est-il d’une ville comme Aix-en-Provence, connue pour la jeunesse de sa population avec environ 40 000 étudiants (26% des habitants) ? Les données pour les votes par tranche d’âge ne sont pas disponibles dans cette ville, mais le fait que la jeunesse représente près d’un quart de son électorat permet tout de même d’en tirer certaines conclusions.

L’étude des votes par quartiers est particulièrement révélatrice des fractures. En effet, à Aix-en-Provence, le vote RN révèle des dynamiques locales nuancées en fonction de la population. La ville, divisée en 14 quartiers et dotée de 98 bureaux de vote, offre une diversité d’environnements sociaux et culturels influençant les choix électoraux des jeunes. Dans certains quartiers, les jeunes se tournent davantage vers le RN, tandis que dans d’autres, ils lui préfèrent des partis alternatifs ou le vote blanc, marquant une fracture dans le comportement électoral.

Deux types de quartiers présentent un taux de soutien au RN élevé parmi la jeunesse. Tout d’abord, les quartiers Nord d’Aix-en-Provence comme le Jas de Bouffan et Encagnane comptent plus de 18% de vote RN. Dans ces secteurs, où le taux de chômage des jeunes est relativement élevé et où le sentiment d’insécurité est souvent perçu comme un problème majeur, le discours de Marine Le Pen trouve un écho favorable. Pour ces jeunes, le RN apparaît comme un parti susceptible de répondre à des préoccupations locales : insécurité, précarité économique et défiance vis-à-vis des élites politiques. Le thème de la protection de l'emploi pour les citoyens français, un axe central de la campagne RN, touche en particulier les jeunes en recherche d’un premier emploi stable, dans un contexte de compétition et de rareté des opportunités locales.

Mais l’endroit où le vote RN reste le plus marqué, dépassant régulièrement les 20%, sont les quartiers les plus éloignés du centre-ville qui se trouvent également être les quartiers ou le niveau de vie est le plus élevé. Les jeunes des quartiers aisés d'Aix-en-Provence, comme Les Milles, La Duranne et Luynes, peuvent être plus enclins à voter pour le RN pour des raisons liées à leurs préoccupations économiques et identitaires. Évoluant dans un contexte où l'accès à des opportunités professionnelles reste compétitif malgré leur niveau de vie, certains jeunes ressentent une incertitude quant à leur avenir, surtout dans une économie qu'ils perçoivent comme de plus en plus instable. Le RN leur propose une vision de protection de l'emploi et une politique nationale centrée sur les intérêts des jeunes Français, ce qui peut répondre à leurs craintes face à la mondialisation. De plus, ces jeunes peuvent se sentir sensibles aux discours du RN sur la préservation de l’identité culturelle et la sécurité, même dans des environnements perçus comme paisibles. En effet, le RN adresse souvent un message de continuité et de protection des valeurs traditionnelles, un discours qui peut séduire ces jeunes issus de milieux favorisés, en quête de stabilité et de repères face aux transformations sociales rapides.

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En revanche, dans des quartiers plus universitaires, comme ceux du centre-ville et autour des facultés, le vote jeune se montre moins favorable au RN, avec moins de 12% des voix. Ces secteurs, où la population étudiante est importante et où les jeunes sont souvent sensibilisés à des problématiques internationales et écologiques, tendent à privilégier des candidats porteurs de valeurs progressistes, ou à s’abstenir pour manifester leur désintérêt ou leur désillusion envers la politique traditionnelle. Ici, l’intérêt pour le RN reste marginal, et les discours plus modérés, notamment portés par des candidats comme Emmanuel Macron ou par des partis de gauche, résonnent davantage auprès des jeunes électeurs.

Les quartiers résidentiels comme Val Saint-André, où les familles de classe moyenne sont prédominantes, affichent un profil de vote jeune plus hétérogène. Le soutien au RN est plus diffus, influencé par le contexte familial et le parcours académique des jeunes, mais il n’atteint pas les niveaux observés dans les quartiers Nord. Ce contraste entre quartiers souligne les clivages sociaux et économiques qui influencent les choix électoraux des jeunes Aixois, révélant une jeunesse fragmentée, entre désillusion et quête de nouvelles représentations politiques.

Une lecture des résultats électoraux : des clivages significatifs

En 2022, l’analyse des votes jeunes à Aix-en-Provence démontre donc que le RN n’attire pas de manière uniforme, mais s’ancre dans certains quartiers où les jeunes se sentent laissés pour compte par les politiques publiques. La polarisation des résultats dans les différents quartiers traduit des réalités de vie et des perspectives d’avenir bien distinctes, façonnant des attitudes politiques diverses.

Ainsi, la jeunesse aixoise, comme celle du reste de la France, semble se diviser entre des jeunes cherchant à exprimer leur mécontentement et d’autres adoptant une posture plus idéaliste ou contestataire envers le système. Ces tendances, combinées à une abstention élevée dans certaines zones, rappellent les mots d’Anne Muxel : « Le vote des jeunes est souvent ambivalent, entre désir de rupture et volonté de se démarquer d’un modèle politique perçu comme défaillant ».

En somme, le soutien croissant des jeunes au RN, observé au niveau national comme dans la ville d’Aix-en-Provence, interroge sur l’avenir de l’engagement politique de cette génération. Le parcours de vingt ans du FN au RN souligne que la jeunesse, loin d’être homogène, se montre réceptive aux discours s’adressant aux frustrations et aux espoirs laissés en suspens par les autres formations politiques.